L’accord de coalition signé le 20 avril entre le Likoud et le parti Bleu et Blanc, après trois élections et un blocage politique, est un spectacle étrange à contempler.
Cet accord, qui permet à Benyamin Netanyahou de rester Premier ministre pendant 18 mois avant de laisser la main à Benny Gantz, occupe 14 pages et entre dans des détails affligeants sur la répartition des portefeuilles ministériels et des postes gouvernementaux. Il aborde aussi des questions plus larges comme celle de savoir qui exercera les fonctions d’ambassadeur en Australie et ce qui se passera s’il devait y avoir un obstacle pour désigner Netanyahou ou Gantz comme Premier ministre.
Cependant, une chose est totalement absente de ce document : les buts et les projets de la politique du nouveau gouvernement.
Après une déclaration d’ouverture très générale, selon laquelle le gouvernement « allait prendre toutes les mesures pour endiguer l’épidémie » (comme si nous pensions un instant que Netanyahou et Gantz allaient résoudre la gestion de la crise du coronavirus), formuler un plan pour « parvenir à des réponses » à diverses questions et déployer un ambigu « filet de sécurité économique et social » ... le lecteur tombe finalement sur une phrase courte mais significative : « Après l’installation du gouvernement, une équipe sera désignée pour définir les principes de base du gouvernement. »
En d’autres termes, on met d’abord en place un gouvernement et ce n’est qu’après qu’on décidera exactement en quoi consistera son programme.
Il y a cependant deux exceptions notables à la présentation ultérieure du projet du gouvernement. La première concerne une loi pour enrôler les Juifs ultra-orthodoxes dans l’armée. La seconde traite de la « mise en pratique de la souveraineté », comprenez, de l’annexion. Alors que la clause sur la conscription des ultra-orthodoxes semble être fondée sur un accord entre les deux partis et entérine de façon effective le statu quo par rapport à l’enrôlement, l’annexion est un renversement spectaculaire du statu quo entre Israël et la Palestine.
Selon le journaliste israélien Barak Ravid, l’intention de Netanyahou d’annexer la Vallée du Jourdain et d’autres parties de la Cisjordanie occupée était l’un des principaux points de friction dans les négociations pour former un nouveau gouvernement. Or l’accord du 20 avril retire à Gantz tout droit de veto sur les décisions concernant l’annexion.
Conformément à ce qui a été signé, le gouvernement sera en capacité de présenter, au cabinet ou à la Knesset siégeant à partir du 1er juillet, une loi pour annexer des parties importantes de la Cisjordanie. Mais cette précision est apportée dans une clause qui se contredit directement et qui, dans une certaine mesure, est en contradiction avec celle qui la précède, tout en torpillant aussi tout semblant d’équilibre des pouvoirs entre Netanyahou et Gantz.
L’article 28 de l’accord énonce que le « Premier ministre et le Premier ministre d’alternance » feront la promotion du plan de paix de Donald Trump « en plein accord avec les États-Unis » tout en cherchant à « sauvegarder la stabilité régionale, à maintenir les accords de paix et à s’efforcer d’obtenir des accords de paix futurs. » Puisque la Jordanie a menacé d’annuler son accord de paix avec Israël si ce dernier devait annexer la Vallée du Jourdain, il est difficile de comprendre comment l’annexion contribue aux « accords de paix » — ce qui signifie que cette clause devrait, à première vue, constituer la seule source du droit de veto de Gantz.
Cependant, l’article suivant stipule de façon explicite que malgré le fait que pendant les six premiers mois de son existence le gouvernement sera considéré comme un gouvernement d’urgence et que par conséquent il ne sera pas en capacité de présenter « une loi principale et/ou secondaire » sur des questions ne concernant pas la lutte contre le Covid-19, et malgré le fait que Commission des Lois de la Knesset ne sera pas autorisée à proposer une loi qui n’aura pas fait l’objet d’un accord préalable entre le président de la commission dirigée par le parti Bleu et Blanc et son adjoint-e du Likoud, Netanyahou peut encore imposer l’annexion sans le consentement de Gantz.
En fait, l’article 29 permet au Premier ministre « de pouvoir mettre en débat au cabinet et au gouvernement, en vue de l’approbation par le gouvernement ou par la Knesset » siégeant à partir du 1er juillet, l’accord conclu avec les États-Unis sur la mise en pratique de la souveraineté. En outre, il énonce que Netanyahou peut déposer la proposition d’annexion par le biais d’un de ses propres députés du Likoud, en excluant effectivement Gantz du processus.
En d’autres mots, l’annexion prime sur toutes les autres clauses de l’accord de coalition, et joue de manière très pernicieuse sur l’équilibre des pouvoirs entre Netanyahou et Gantz, profitant de l’« état d’urgence », véritable raison d’être de ce gouvernement. C’est comme si l’annexion était la fantaisie personnelle du Premier ministre et qu’elle devait être mise en oeuvre pour ne pas le contrarier, plutôt que la mesure la plus significative qu’Israël ait prise depuis juin 1967 quand il a occupé la Cisjordanie, Gaza et Jérusalem-Est.
Il peut se passer beaucoup de choses d’ici le 1er juillet, si bien qu’il est difficile de prophétiser si Netanyahou ira jusqu’au bout de l’annexion, ni même de savoir quelle partie de la Cisjordanie sera annexée à Israël. Cela dépendra en grande partie de la situation politique du Président Trump et de l’importance de la pression que la Jordanie, et éventuellement l’Égypte, exerceront sur lui. Quelle pression exerceront les institutions sécuritaires d’Israël, qui craignent que l’annexion mène à la rupture de la coordination sécuritaire avec l’Autorité Palestinienne, et éventuellement de l’accord de paix d’Israël avec la Jordanie ? Sauf opposition de la Maison Blanche, la manière dont l’accord a été rédigé signifie que Netanyahou aura beaucoup de mal à expliquer à ses partisans toute ligne de conduite qui ne se termine pas par l’annexion de la Cisjordanie. En un sens, cet élément l’oblige presque à annexer.
Si cela se produit, ça pourrait créer une situation absurde dans laquelle Gantz, qui passera les 18 premiers mois de son mandat comme ministre de la Défense, et le futur ministre des Affaires Étrangères, Gabi Ashkenazi, auront à défendre une décision qui aura l’effet d’une bombe nucléaire sans aucun moyen de l’arrêter ou même d’influencer son calendrier et sa portée. Il n’est pas déraisonnable de supposer que l’annexion va profondément changer la situation de la sécurité d’Israël et de ses relations extérieures, en faisant de l’ombre sur la durée du mandat de ce gouvernement. Quand Gantz deviendra Premier Ministre en octobre 2021, il est très probable que la réaction en chaîne provoquée par l’annexion sera le premier problème qu’il sera forcé de traiter. Cela pourrait très bien être la douce vengeance de Netanyahou contre son rival politique.